Les câbles sous-marins télégraphiques transatlantiques: la conférence du 18/05/2015 avec ses illustrations

Les câbles sous-marins télégraphiques transatlantiques: 1850 – 1914: la France et les USA face à la domination britannique

 

1. Une première campagne de pose agitée

Le 29 juillet 1858, 4 navires sont réunis par 52°02′ de latitude Nord et 33°18′ de longitude Ouest, c’est à dire au milieu de l’atlantique Nord, à égale distance de l’Irlande vers l’Est et de Terre-Neuve vers l’Ouest.

Trois de ces navires appartiennent à la Royal Navy, le quatrième à la US Navy:

 

Mise à disposition par sa très gracieuse majesté Victoria, reine du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d’Irlande [on n’ajoutera le titre d’Impératrice des Indes qu’en 1876],

HMS Agamemnon, une frégate à trois mâts « man-of-war » de 2ème classe, deux ponts, 91 canons, 860 hommes, 70 m de long, 3 200 tonneaux, construite en 1852, qui s’est couverte de gloire en bombardant Sébastopol lors de la guerre de Crimée (« Russian war« ); il y a 2 ans, en 1856, l’Agamemnon a été désarmé et motorisé à Portsmouth avec deux lignes d’arbres d’hélice. l’Agamemnon est commandé par le Captain Moriarty et accompagné et assisté par HMS Valorous, bâtiment de servitude et d’aide aux manœuvres

 

Mise à disposition par la US Navy,

la frégate à vapeur USS Niagara, 5 630 tonnes de déplacement, plus de 100 m de long (record du monde à l’époque), construite en 1855 par le chantier George Steers (constructeur du célèbre yatch America qui rapporta l’America’s Cup au New-York Yatch Club en 1857), et la plus rapide aussi, puisqu’atteignant 12 nœuds sur son unique ligne d’arbre. Le Niagara est commandé par William L. Hudson (1794 – 1862) qui s’est rendu célèbre, à l’issue des guerres napoléoniennes, en bataillant en méditerranée contre les pirates barbaresques et les ottomans (« US second barbary war« , 1815).

Le Niagara est assisté par HMS Gorgon (mise à disposition par la Royal Navy).

 

L’Agamemnon et le Niagara sont chargés chacun de 1 200 nm[1] de câble et équipés sur le pont d’une machinerie spécifique (mise au point par le remarquable ingénieur William E. Everett) pour laisser filer leurs câbles respectifs au fond de la mer tout en les retenant mais sans risquer les rompre.

 

L’Agamemnon est prêt à faire route à l’Est vers Valentia harbor sur la côte irlandaise (813 nm) et l’objectif du Niagara est Trinity bay, à Terre-Neuve (882 nm)

 

Il s’agit donc de poser un câble entre l’ancien monde et le nouveau monde en vue d’échanger des signaux électriques:

avec l’assistance des bateaux accompagnateurs et de plusieurs chaloupes, l’extrémité du câble stocké sur le Niagara est hissé sur le pont de l’Agamemnon et une épissure est soigneusement réalisée entre les deux sections de câble, puis cette jonction est délicatement mise à l’eau et coulée jusqu’à toucher le fond (1500 brasses ou fathom soit 1 829 m de hauteur d’eau) grâce à une fonte en plomb:

L’ensemble de cette manœuvre est donc réalisée en pleine mer, par houle de 3 à 5 m.

Et c’est la quatrième fois en un mois que ce rendez-vous des divers bâtiments et cette manœuvre acrobatique ont ainsi lieu au milieu de l’Atlantique:

La première fois, début juin 1868, avant de d’atteindre le point de rendez-vous midatlantique, un véritable ouragan – l’un des pires de toute l’histoire de l’atlantique nord – s’est déchaîné sur la flotte,

les bateaux ont néanmoins pu continuer leur navigation jusqu’au point prévu mais, après la pose de l’épissure au fond, pendant la pose des deux demi-câbles, la liaison électrique s’est rompue quand les deux bâtiments poseurs n’étaient séparés que de 12 (=2X6) nm. Donc, on coupe ces petites sections que l’on abandonne au fond et on recommence la manœuvre;

la deuxième fois, c’est quand 2X80 nm de câble ont été posés que la rupture électrique se produit. On recoupe, on recommence la manoeuvre, l’épissure, etc. et cette troisième fois, c’est après un total de 2X250 nm de pose après l’épissure que le défaut se reproduit, ce qui contraint l’ensemble des bâtiments à revenir à Queenstown en Irlande après avoir coupé et abandonné au fond les poses effectuées.

Le découragement ne faisant pas partie des équipements embarqués, après un réapprovisionnement, la flotte repart de Cork le 17 juillet, avec moins d’enthousiasme qu’en juin mais, cette fois-ci, il semblerait que la malchance se soit éloignée: à bord des deux navires poseurs, on sait tout de suite si la pose est réussie ou pas: même avec la moitié de l’atlantique entre eux, les deux bâtiments sont toujours reliés par les sections de câble déjà posées de chaque côté de l’épissure: ils ont d’importante batteries à bord et peuvent donc en permanence communiquer ou tout au moins vérifier la réalité de la continuité électrique sur toute la longueur du câble posé et à poser.

Pour cette quatrième tentative d’août 1858, la pose semble donc bien se passer; elle n’est pas exempte cependant de nombre d’alarmes et d’inquiétudes: coupure du courant pendant une heure et demie mais qui se rétablit sans explication, frayeurs sur les dynamomètres qui mesurent des tensions mécaniques sur le câble largement capables de l’arracher, nouvelle tempête, etc..

La pose se conclut le jeudi 5 août par deux atterrissements triomphaux à quelques heures d’intervalle, l’un à Trinity bay à Terre-Neuve et l’autre à Valentia bay en Irlande.

 

La liaison télégraphique entre Terre-Neuve et New-York avait été préalablement réalisée et c’est donc dès le 5 aout 1858 que Cyrus Field, le patron de ce fantastique projet « The Atlantic Telegraph Company« , expédie de Terre-Neuve à New-York et en relai à toutes les grandes villes américaines déjà raccordées par télégraphie terrestre, un message triomphant clamant sa réussite historique.

On ne peut imaginer l’explosion d’enthousiasme provoqué par cette annonce dans tout le pays: saluts au canon, pavillons envoyés, cloches sonnant des heures durant, poèmes et chansons spécialement composés et entonnés sur les places, célébrations religieuses, banquets géants, etc. Des orateurs exaltés parlent du « roi Cyrus » ou de « Cyrus le Grand », l’un d’eux déclamant: « Colomb dit: il y a un monde, faisons-en deux, mais Field dit: il y a deux mondes, n’en faisons qu’un! ».

 

Le 16 août, on publie les messages suivants échangés via le câble entre la reine Victoria et le Président américain James Buchanan:

« Au président des Etats-Unis, Washington:

La Reine souhaite féliciter le Président pour la réussite de cette grande réalisation internationale, qui a interessé la Reine au plus haut point.

La Reine est convaincue que le Président partage ses voeux fervents pour que le câble électrique qui relie désormais la Grande Bretagne et les Etats-Unis constitue un lien de plus entre ces nations dont l’amitié repose sur des intérêts communs et une estime réciproque.

La Reine se réjouit donc de cette communication avec le President et lui renouvelle tous ses voeux pour la prospérité des Etats-Unis. »

Réponse du président américain:

« Washington City, le 16 aout 1858.

A Sa Majesté Victoria, Reine de Grande Bretagne:

Le Président remercie sa Majesté la Reine de ses félicitations et lui présente à son tour les plus cordiales des siennes, à l’occasion du succès de cette grande entreprise internationale rendue possible par la science, les talents et l’indomptable énergie de nos deux pays.

Il s’agit d’un triomphe bien plus glorieux – car bien plus utile à l’humanité – que toutes les conquêtes remportées sur les champs de bataille.

Avec la bénédiction du ciel, puisse l’Atlantic Telegraph être un lien de paix éternelle et d’amitié entre nos nations soeurs et un instrument destiné par la Divine Providence à diffuser la religion, la civilisation, la liberté et la loi partout dans le monde.

Dans cette perspective, toutes les nations de la Chrétienté ne devraient-elles point s’unir dans l’engagement que cet ouvrage sera à jamais neutre et que les communications qu’il permet resteront protégées dans leurs transmissions vers leurs destinataires, même au coeur des hostilités?

James Buchanan »

 

Et le 18 août, Cyrus Field débarque à New-York: c’est une véritable hystérie collective qui saisit cette ville, toujours friante de manifestations en tous genres: une parade monstre est organisée en son honneur le 1er septembre,
 


 
qui se termine par des feux d’artifices si gigantesques qu’ils provoquent l’incendie du toît de l’hôtel de ville.

L’enthousiasme pour le câble transatlantique est tel que le célèbre joaillier new-yorkais Tiffany & Co va mettre en vente comme souvenirs des morceaux du câble en surplus avec un certificat d’authenticité signé de Cyrus Field soi-même!

Pendant ce temps, depuis la fin de pose du 5 août, environ 400 messages ont été échangés entre les deux continents, mais presqu’exclusivement de caractère technique, entre ingénieurs et opérateurs télégraphiques. En effet, les performances du câbles se révèlent très médiocres, avec de nombreuses coupures de liaison inexplicables durant des heures et des réceptions de signaux de qualité aléatoire.

 

En fait, le 1er septembre, le jour même de la grande fête à New-York , une coupure totale est constatée sur le câble, localisée après enquête et mesures à 270 nm à l’Ouest de Valentia, le point d’atterrissement Irlandais, à peu près au niveau de la rupture du plateau continental, au démarrage des grands fonds océaniques.

Voilà donc une entreprise gigantesque, quatre années d’efforts et 350 000 £ d’investissements réduits à néant, plus de 2 200 nm de câbles irrécupérables, perdus au fond de l’océan. Et pourtant, loin de désespérer et de jeter l’éponge, la même équipe va évaluer les raisons de l’échec, les corriger et recommencer, réunir à nouveau les hommes, les techniques, les dollars et les livres et va finir par réussir lors des nouvelles campagnes de 1865 / 1866.

Entretemps, de 1858 à 1865, plus d’activité de câble sous-marin transatlantique chez les anglo-américains: en effet, en 1859, nous sommes en pleines crises annonciatrices de la « civil war« , la guerre de sécession, la première guerre « moderne » qui éclate en juillet 1861 et qui s’achèvera en avril 1865 après le massacre de 617 000 combattants.

Avec moins d’incidences directes sur les câbles sous-marins, la période 1861 – 1867 est également celle de la calamiteuse intervention française au Mexique qui conduit les USA à s’opposer à la France pour chasser du Mexique nos soldats, au moment même où la guerre prusso-autrichienne se conclut par une victoire claire de la Prusse à Sadowa (1865) et laisse donc la France isolée face à la Prusse.

Dans l’ambiance de relations internationales aussi tendues et complexes, de nouveaux accords et investissements pour des câbles télégraphiques intercontinentaux deviennent donc des exercices de diplomatie voués à l’échec.

Mais commençons par le commencement: en quoi consiste exactement la télégraphie sous-marine?

 

2. Les débuts de la télégraphie électrique

Le télégraphe via câble (sous-marin ou terrestre), c’est bien sûr du télégraphe électrique qu’il s’agit.

Or, en France, le réseau du télégraphe « aérien » ou « optique » ou encore « sémaphorique » de Claude Chappe a fait depuis 1795 l’objet d’un déploiement très important, quoique très majoritairement réservé à l’état et aux armées. En 1846, notre Administration du télégraphe, dont une ordonnance prescrit que 80% de ses inspecteurs seront issus de Polytechnique, gère 5 000 km de liaisons entre 534 stations.

 

Pendant la première moitié du XIXe siècle, des savants et physiciens surtout européens multiplient les découvertes et applications relatives à l’électricité, qui vont permettre, par étapes et par approximations successives, comme pour toutes les technologies nouvelles, de mettre au point la télégraphie électrique via câbles:

> 1750 (pour mémoire) l’électricité statique identifiée par l’américain Benjamin Franklin

> 1800: la pile électrique mise au point par l’italien Alexandre Volta

> 1820: l’électromagnétisme par le danois Hans Christian Oersted

> 1820: l’électro-aimant par André-Marie Ampère et François Arago

> 1820: le galvanomètre par Marcel Deprez et Arsène d’Arsonval et Johann Schweigger

> 1831: l’induction électromagnétique par Michael Faraday

 

Il faut d’ailleurs noter que la transmission de signaux à distance constituera la première application « industrielle » qui fera sortir de leur cabinets de curiosité les phénomènes électriques découverts par ces « amateurs distingués des sciences »

et pour lesquels les ingénieurs et les entrepreneurs vont se mobiliser:

Le principe du dispositif de la télégraphie électrique est toujours le même, bien que les diverses mises en oeuvre paraissent fort différentes:

Et donc, y a-t-il un véritable précurseur / inventeur de la télégraphie électrique et dans quel pays?

La réponse est, comme toujours, multiple et souvent sujette aux diverses fiertés nationales:

> Le premier à transmettre via des fils métalliques un véritable courant électrique (« voltaïque ») permettant de répéter sur un cadran distant le mouvement d’une aiguille sur un cadran « émetteur » et donc de « télé-désigner » des lettres ou des chiffres serait un certain Jean Alexandre, (soit-disant fils naturel de Jean-Jacques Rousseau), ouvrier doreur à Poitiers en 1790: avec le support de M. Cochon, préfet de la Vienne, il tente de présenter son invention au premier consul en 1802 mais il se heurte au refus de Chaptal, le grand chimiste, ministre de l’intérieur à cette date, qui, sans avoir jamais assisté à une démonstration du dispositif ni entendu son inventeur, décrète que le télégraphe aérien lui est bien supérieur. Mais, comme Alexandre (mort en 1832) n’a jamais voulu dévoiler les détails de son invention qui n’a donc pas pu être mise en oeuvre de façon opérationnelle, on ne peut lui attribuer aucune parenté ni influence de son invention sur les divers systèmes qui vont bientôt fleurir rapidement dans toute l’Europe:

> 1832: le baron Pavel Lvovitch Schilling, diplomate russe d’origine allemande (né en Estonie en 1786) fait à Saint-Pétersbourg une démonstration devant le tsar d’un télégraphe à 5 aiguilles commandées à distance via 6 fils de platine (5 + 1 pour le retour) par un clavier à touches permettant de coder les chiffres de 1 à 10 puis toutes les lettres et signes via un dictionnaire (concept qu’il aurait développé dès 1825). Nicolas 1er fut suffisamment intéressé pour nommer en 1837 une commission chargée d’évaluer les conditions d’installation d’une liaison de ce type entre Saint-Pétersbourg et le palais impérial de Peterhof. Mais Schilling meurt cette même année 1837, ce qui fait disparaître son projet dans la Neva!

Et cette année 1837 est décidément essentielle dans l’histoire de la télégraphie électrique car elle voit aussi apparaître quasi-simultanément dans des pays différents les principales réalisations qui vont en déclencher le succès mondial:

> 1837: en Ecosse (Edimbourg) Richtie et Alexander imaginent un dispositif analogue à celui de Schilling mais avec 30 fils (pour désigner 20 lettres + 10 chiffres);

> 1837: à Munich, le télégraphe magnétique du physicien / astronome Carl August von Steinhein effectue une démonstration sur 5km entre son observatoire et un faubourg de Munich, avec trois innovations capitales:

* un seul circuit voltaïque, donc seulement 2 fils sur la distance et même un seul dès 1838 quand Steinhein découvre que le retour peut se faire par la terre,

* codage à 3 moments (courant dans un sens, courant dans l’autre sens, pas de courant)

* impression du résultat par points sur une bande de papier déroulante devant deux stylets;

 

> 1837: en Angleterre, le télégraphe électrique à aiguilles oscillantes de William Fothergill Cooke (qui avait étudié la médecine à Paris) et Charles Wheastone (brillant inventeur dans de très nombreux domaines): toujours le même principe, mais ici cinq galvanomètres commandent les mouvements de 5 aiguilles permettant de coder 20 lettres: démonstration sur 2,5 km entre deux gares en juillet 1837, ce système dont la « patent » est déposée et obtenue en 1837 sera adopté par la Great Western Railway en 1839.

 

En parallèle au télégraphe à 5 aiguilles, Cooke & Wheatstone développent le télégraphe à 2 aiguilles qui va assurer à partir de 1846 le développement foudroyant du réseau de la Cie du Télégraphe Electrique entre toutes les villes importantes d’Angleterre et d’Ecosse.

 

1837: à New-York enfin, le télégraphe dit de Samuel Morse, personnage dont la renommée mérite que l’on en vérifie le bien-fondé:

Samuel Finley Breese Morse (27 avril 1791 – 2 avril 1872), fils d’un pasteur du Massachusetts, éduqué au collège de Yale (Connecticut), peintre et sculpteur de talent, est professeur de « littérature relative aux arts du dessin » à l’université de New-York à partir de 1830. Sur le paquebot le Sully qui le ramène en 1832 du Havre à New-York après un voyage dans les musées d’Europe, il entend parler des expériences de Franklin sur l’électricité, et assiste à des expériences d’électromagnétisme par un géologue de Boston, Charles T. Jackson; Morse imagine alors qu’il doit être possible d’utiliser l’électricité pour transmettre des messages. Suite à des discussions avec ses collègues scientifiques de l’université de New-York (Pfr. Dana et Torrey), il se fait offrir un électro-aimant et bricole jusqu’en 1835 une machine qui ne fonctionnera vraiment qu’après les améliorations apportées par son autre collègue professeur de chimie Leonard Gale (adoption de batteries plus efficaces, d’un nouvel électro-aimant performant et insertion d’un ou plusieurs « relais » pour augmenter la portée).

Et surtout, c’est son association avec le jeune et riche Alfred Vail, éléctromécanicien de grand talent et même de génie, qui va rendre l’équipement « Morse » vraiment opérationnel:

 

Vail remplace l’invraisemblable transmetteur en bois imaginé par Morse par un manipulateur directement actionné par le doigt de l’opérateur et surtout conçoit le fameux code « Morse » (encore en usage aujourd’hui) composé de points et de traits pour coder lettres, chiffres et signes.

A l’origine Morse avec son transmetteur en dents de scie ne savait coder que les chiffres de 1 à 0 et un dictionnaire était prévu pour interprêter les messages reçus. C’est bien Vail qui comprit en visitant une imprimerie typographique que certaines lettres et signes étaient bien plus utilisés que d’autres et que le code devait privilégier les lettres les plus fréquentes en les codant le plus simplement possible.

Les représentants du congrès américain en 1838 puis les officiels français en 1842 auxquels Morse présenta « son » système admirent, sans enthousiasme particulier, qu’il semblait « assez performant ».

Mais ce n’est qu’en fin 1843, après d’incessantes démarches des deux côtés de l’Atlantique que Morse obtiendra du Congrès un petit budget de 30 000 $ pour construire en 1844 (dans l’indifférence générale!) une ligne télégraphique Washington – Baltimore qui ne sera mise en service que début 1845.

Morse était donc un excellent « communiquant » mais il a passé son temps à poursuivre de sa vindicte et de divers procès tous ceux qui ne le déclaraient pas premier et unique inventeur de la télégraphie, par exemple Charles T.Jackson rencontré en 1832 sur le Sully ou Horatio Hubbell dont nous reparlerons bientôt.

Dans un autre registre, Morse était très actif dans les mouvements anti-catholiques and anti-immigration de son époque, et – bien que « yankee » (nordiste) – défendait avec éloquence dans les années 1850 la pratique de l’esclavage, considérant que Dieu l’approuve, puisque les peuples de la bible le pratiquent…Le lecteur devinera sans doute qu’aux yeux de l’auteur de ces lignes, la réputation de grand génie de l’humanité de Morse est largement usurpée!

Dernier – mais non des moindres – savant / ingénieur à mentionner pour les découvertes qui feront décoller les performances de la télégraphie électrique: Sir William Thomson.

Cet irlandais, né à Belfast en 1824, est, lui athentiquement, l’un des très grands génies de son siècle (thermodynamique, phénomènes magnétiques, etc.) et nous le retrouvons dès 1854 dans tous les projets de câbles transatlantiques anglo-américains; il sera anobli par la reine Victoria, nommé « Pair » du royaume en 1892 et il est de ce fait bien mieux connu sous le nom de Lord Kelvin: C’est en 1851 que William Thomson met au point son galvanomètre ultra-sensible à miroir qui est en opération lors de la pose et du bref fonctionnement du câble de 1858.

 

Les réseaux de télégraphie électrique terrestre se développent donc très rapidement:

>

en Angleterre

, à partir de 1839, comme outil de signalisation des voies de chemin de fer, puis ouvert au public en 1847 sous le régime d’un exploitant privé Electric Telegraph Company bénéficiant très tôt d’un monopole gouvernemental; on totalise 6 500 km de lignes en 1852!

>

aux USA

, à partir de 1845, ouvert au public et à la concurrence de multiples compagnies privées dès 1845; on totalise 19 000 km de lignes en 1852.

>

en France

, le passage de la télégraphie optique Chappe à la télégraphie électrique est l’objet d’âpres luttes: l’administration télégraphique, puissante et bien organisée sous la direction d’Alphonse Foy, a été renforcée par la loi du monopole étatique des télécoms de 1837:

« Quiconque transmettra sans autorisation des signaux d’un lieu à un autre, soit à l’aide de machines, soit par tout autre moyen, sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 1 000 à 10 000 F. »

Les défenseurs de la télégraphie optique font barrage au savant visionnaire François Arago qui promeut avec éloquence la nouvelle technologie: en 1842, à l’occasion du vote par la chambre des députés d’un crédit de 30000 F pour expérimenter le dispositif de M. Jules Guyot d’éclairage de nuit des bras des tours télégraphiques (sic!), Arago évoque le succès des déploiements en Angleterre, M. Pouillet (Académie des sciences, professeur de physique à la Sorbonne) rétorque que la télégraphie électrique est une « utopie brillante qui ne se réalisera jamais! ». Néanmoins, le ministre de l’intérieur nomme une commisssion le 12 nov 1844: malgré son frileux rapporteur Pouillet, entouré heureusement de Bréguet, Arago et Becquerel, ses conclusions sont favorables et une ordonnance royale du 28 nov 1844 débloque un crédit de 240 000 F pour réaliser à titre expérimental la première ligne Paris – Rouen (137 km) qui est ouverte en 1845. Le 4 juin 1846, une nouvelle loi attribue 490 000 F pour établir une ligne Paris – Lille: preuves du peu d’enthousiasme dont font preuve à nouveau son rapporteur Pouillet et le grand directeur de l’administration télégraphique Alphonse Foy, la ligne aérienne Paris-Lille sera maintenue en parallèle et les équipements électriques terminaux devront reproduire exactement sur des petits bras articulés les signaux télégraphiques Chappe! C’est Louis Clément Bréguet, brillant ingénieur et horloger, qui parviendra à réaliser ce monstre technologique aussi compliqué qu’inutile, qui ne sera définitivement abandonné qu’en 1854.

Et ce n’est qu’en 1851, sous l’impulsion du Prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, que le télégraphe est mis à disposition du public français mais avec de nombreuses restrictions, qui ne seront levées que très progressivement.

 

 

3. Les premiers câbles télégraphiques sous-marins

Dès le début des déploiements de lignes télégraphiques terrestres, on a pensé à immerger des lignes au fond d’étendues d’eau douce ou salée. Sur de courtes distances (traversées d’une rivière) les premiers essais furent concluant dès 1839 en Inde, ou 1842 à New-York.

Mais on s’aperçut vite que la mise en oeuvre de câbles conducteurs d’électricité d’une longueur substantielle en milieu sous-marin exigeait de résoudre tout d’abord deux problèmes industriels:

Les solutions sont alors mises aux point par des britanniques:

1- la production d’armures en fils d’acier torsadés est effective dès 1845 à Londres,

2- la découverte à Singapour en 1843 par un chirurgien britannique colonial, le Dr William Montgomerie de la gutta-percha, excellent isolant proche de l’hévéa et résistant à l’eau de mer;

La gutta-percha se révèle un isolant idéal pour la fabrication de câbles destinés à conduire l’électricité en milieu marin (jusqu’à ce que le polyéthylène ne soit mis au point, bien sûr):

 

La production de fils de cuivres extrudés et enrobés de gutta-percha puis armés de fils d’acier est donc opérationnelle à Londres dès 1847 dans les usines concurrentes de The Gutta Percha Cy et de Siemens Brothers.

 

Mais c’est dès 1845 que deux entrepreneurs anglais, les frères John-Watkins et Jacob Brett, proposent au Government Registration Office de réaliser une liaison Europe / Amérique, puis à l’Admiralty une liaison Grande Bretagne / colonies, enfin comme premier test une liaison plus modeste Dublin castle / Downing Street chiffrée à £20,000.

Ces propositions ayant été refusées, les frères Brett passent sur le continent, en France et en Prusse et finissent par obtenir en 1847 une autorisation de Louis-Philippe pour un câble trans-Manche, mais ils ne parviennent toujours pas à réunir les fonds privés nécessaires.

Peu après, le 10 août 1849, c’est Louis Napoléon, à cette date « Prince Président », très anglophile et passionné de nouvelles technologies, qui leur concède un droit d’atterrissement d’un câble sous-marin de télégraphie électrique Angleterre / France

et le 28 août 1850, un premier câble est posé par le remorqueur Goliath, mais il fonctionne à peine 11 minutes.

Un second câble est construit par les frères Brett et, le 19 octobre 1851, est posé par le remorqueur Blazer:

il fonctionnera commercialement durant 40 ans!…

 

Les grands noms de cette nouvelle industrie sont donc à partir de 1850 tous anglo-saxons: Gisborne (à l’origine du projet transatlantique de Cyrus Field), Charles T. Bright, John Pender (que l’on surnommera « the cable king » vers 1872), sans compter Newall et tous ses collègues qui développent à partir de 1864 sur les bords de la Tamise la célèbre TelCon (Telegraph Construction & Maintenance Co Ltd).

 

 

4. Les premiers projets de câble sous-marins transatlantique

Souvenons-nous que les frères Brett (qui géraient l’entreprise familiale de leur père, fabriquant de meubles et tapissier à Bristol) ont proposé sans succès en 1845 au gouvernement britannique un projet de liaison Amérique / Europe qui aurait suivi la route du « Atlantic Cable » finalement adoptée 12 ans plus tard.

En janvier 1849, l’avocat de Philadelphie Horatio Hubbell soumet aux deux chambres des USA un mémorandum proposant d’établir un câble entre Terre-Neuve et l’Irlande, câble qui serait suspendu dans l’océan par environ deux cents bouées.

Il passera ensuite son temps à se défendre des attaques juridiques de Morse qui lui conteste une telle antériorité d’un projet transatlantique.

En décembre 1849, le docteur en homéopathie J.H. Pulte de Cincinnati propose de raccorder les deux côtés de l’Atlantique en installant un câble essentiellement terrestre via l’Alaska, Bering and la Russie, totalisant 18,500 miles depuis Little Rock (Arkansas) jusqu’à Londres mais il ne parvient pas à intéresser le gouvernement américain à son projet.

Un projet analogue sera repris par l’entrepreneur américain Perry Collins en 1861 en partenariat avec la Western Union – qui à cette date avait achevé la liaison San-Francisco / New-York – mais sera abandonné en 1866 après le succès final de l’Atlantic Cable. Notons que c’est sur la base d’un télégramme transmis par les constructeurs de cette ligne télégraphique en Alaska et mentionnant la présence de mines d’or dans cette région, que le secrétaire d’état US William Seward négocie le rachat de l’Alaska au Tsar russe en 1867!

 

C’est en 1852 que naît le vrai projet transatlantique: Frederick Newton Gisborne, ingénieur télégraphiste de l’ « Amérique du Nord Britannique », témoin du succès des frères Brett dans le câble Douvre / Calais, constitue une compagnie pour établir une ligne télégraphique terrestre traversant Terre-Neuve de St Jean au Cap Ray et pour poser un premier câble entre l’ile du Prince Edouard et l’ile du Cap Breton. Mais la liaison Terre-Neuve / New-York reste très incomplète; or, l’idée était la suivante: lorsque les paquebots atterrissent sur St-John et recalent leur navigation après la grande traversée en provenance d’Europe, d’abord on peut estimer avec précision leur ETA[2] à New-York mais surtout, de petits voiliers ou vapeurs peuvent s’en approcher, récupérer des messages dans des containers ou des bouteilles balancées par dessus bord par des informateurs et télégraphier à New-York les « time-sensitive news » des finances et de la presse avec plusieurs jours d’avance sur la remise normale de ces nouvelles à l’arrivée des bateaux au west side de Manhattan.

La route Trinity Bay (Terre-Neuve) > New-York

télégraphie terrestre

télégraphie sous-marine

En fin 1853, les finances de Gisborne sont à sec et celui-ci recherche de nouveaux financements à New-York et c’est là qu’il rencontre le fameux Cyrus Field.

 

Cyrus Field , le plus jeune de sept frères, né en 1819 dans le Massaschussets « monte » à New-York à 15 ans avec 8 $ en poche et réalise une fortune telle dans l’industrie du papier qu’il peut se permettre de prendre sa retraite à l’âge de 33 ans!

Field est interessé par l’idée de Gisborne, à condition de ne pas s’arrêter à Terre-Neuve, d’aller jusqu’au bout et de traverser l’Atlantique jusqu’en Irlande et en Angleterre avec le câble télégraphique. Il commence par écouter des conseillers prestigieux, comme le Cdt Maury, Directeur de l’observatoire national des USA (qui vient justement de présenter au Secrétaire d’état à la Marine les résultats d’une campagne de sondages éxecutés sur le trajet Irlande / Terre-Neuve) et bien sûr, l’incontournable Pfr Morse qui confirme, sans autre argument que son inoxydable confiance en son propre génie, qu’un tel projet hante ses nuits et ses jours depuis 1843…

Field, une fois convaincu que son projet devrait être viable, s’attaque à la réalisation de la section New-York / St John: il achète à Morse les droits de ses brevets, et rachète pour 40 000 $ à Gisborne les privililèges et droits que sa Newfoundland Electric Telegraph Company avait obtenus du parlement canadien (exploitation pendant 50 ans de la télégraphie terrestre et sous-marine à Terre-Neuve, au Labrador, dans la province du Maine, de la Nouvelle Ecosse et dans l’Ile du prince Edouard). Il s’attache aussi à réunir des soutiens financiers et politiques en vue de son projet: la New-York, Newfoundland and London Telegraph Company est constituée le 6 mai 1854 et un capital de 1 500 000 $ est aussitôt souscrit.

A l’automne 1854, Field va à Londres commander le câble de la liaison cap Ray / cap North (il y rencontre John W Brett et William Thomson): le câble y est fabriqué et chargé sur une barque à voiles vers Terre-Neuve: la barque aidée d’un remorqueur entame la pose à partir de cap Ray mais une tempête combinée à une sous-estimation du poids du câble oblige à couper celui-ci pour éviter de faire couler la barque. Field retourne à Londres, commande un nouveau câble qui est posé (par un steamer!) et par ailleurs, sur l’ile, malgré d’énormes difficultés, la ligne terrestre St John – cap Ray est également achevée en 1856.

Field obtient du gouvernement britannique une subvention annuelle de 14 000 £/an pour l’usage du futur câble, ainsi que le prêt de navires de la Royal Navy pour effectuer de nouveaux sondages. Il a plus de mal à Washington mais obtient finalement qu’une loi soit votée lui accordant les mêmes avantages qu’à Londres, soit 70 000 $/an et la mise à disposition de deux vaisseaux de l’US Navy pour les opérations de pose. Cette aide substantielle des deux gouvernements à une entreprise purement privée et commerciale est symptomatique de l’importance aux niveaux diplomatique, stratégique, scientifique et économique que ces pays accordent à ce projet, pourtant encore bien utopique aux yeux de beaucoup.

 

Les 2 500 nm de câble sont produits en 6 mois à Londres, en parallèle par Glass Elliot & Co et par R.S.Newall & Co (qui toutes deux sont à l’origine des fabriquants de câbles de mines) sur la base d’une âme centrale de 7 brins de cuivre fournie et isolée par la Gutta Percha Cy.

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La pose est entreprise dès 1857: un départ en fanfare des 4 navires (les mêmes que ceux de 1858 dont nous avons parlé au début) est organisé le 5 août depuis Valentia bay en Irlande, tous les bateaux naviguant cette fois vers l’ouest de concert mais, dès le 10 août, un défaut d’isolation est constaté puis un arrachement du câble dans la machine de pose qui oblige à renoncer à cette campagne.

Comme nous l’avons vécu en introduction, la nouvelle campagne de 1858, avec toutes ses péripéties, semble « successful » mais échoue in fine au milieu de la fête…

 

Nous constations plus haut, qu’à l’issue de cette campagne de 1858, jusqu’en1865, on ne constate plus de projet de câble sous-marin transatlantique:

Côté US, la « civil war » bloque toute nouvelle entreprise et l’éloquence et les allers-et-retours incessants de Cyrus Field entre les USA et Londres (la guerre renforce selon lui le besoin d’une telle liaison) ne suffisent pas à remobiliser de nouveaux investisseurs sur le projet.

Côté UK, face à un bilan global désastreux (à peine 25% des 11 000 nm posés dans tous les océans par l’industrie britannique sont opérationnels), le Board of Trade (ministère du commerce) organise avec l’Atlantic Telegraph Co une commisssion d’experts (la Commission « Galton« ) qui analyse scientifiquement les raisons techniques des échecs et produit en 1861 un remarquable « parliamentary bluebook« , véritable audit technologique proposant un ensemble de recommandations de sélection de matériaux, de méthodes de fabrication, de techniques de pose et de réparation, …

Pendant ce temps, dans les chantiers Millwall au bord de la Tamise, le « petit géant » Isambard Kingdom Brunel [3] [il mesure 1m.59, il a construit des résaux ferroviaires, des tunnels, des ponts, des quais et de grands bateaux à vapeur en acier] fait construire le fameux Great Eastern (211 m, 22 500 tons), qui se révèle un excécrable paquebot – qui cause la faillite de ses 3 premiers armateurs – mais un excellent navire câblier!

Construction du « Leviathan » de 1854 à 1858

il devient le « Great Eastern » en 1858

Isambard

Brunel

Finalement, en 1864, Field obtient la participation à son projet de John Pender, le patron de The Telegraph Construction & Maintenance Co Ltd (issue de la fusion de Gutta Percha Co et de Glass Elliott & Co) qui s’engage comme fournisseur du câble; puis il trouve un accord avec Daniel Gooch, le dernier en date propriétaire du Great Eastern.

En mai 1865, 2 300 nm de nouveau câble ont été fabriqués selon un cahier des charges très rigoureux, résultant, mais en les améliorant encore, des recommandations de la Commision Galton de 1861. Ils ont été chargés et lovés soigneusement dans les gigantesques cales du Great Eastern: au centre de l’illustration jointe, on reconnaît, avec canne et haute-forme gris, le Prince de Galles, futur Edouard VII, en visite durant cette opération, nous vous retrouverons bientôt en France, Monseigneur…

Entretemps, Field s’est rendu sur l’invitation de Ferdinand de Lesseps, à l’inauguration du canal de Suez, en tant que représentant de la Chamber of Commerce in New-York.

 

Le Great Eastern appareille de Valentia (Irlande) pour cette nouvelle campagne de pose le 23 juillet 1865: après 84 nm posés, incident électrique localisé environ 10 nm derrière la poupe – demi-tour, récupération de 12 nm de câble posé: on découvre une pointe de métal qui a percé l’isolant et atteint l’âme de cuivre: on croit à un sabotage mais, en fait, c’est un brin d’acier cassant détaché des filins de l’armature lors des manoeuvres qui expliquera l’incident; tout va bien ensuite mais à 600 nm du but, nouveau défaut, cette fois la machine de pont pour relever la section en cause se révèle insuffisamment puissante et le cable explose et plonge par 3600 m de fond. On localise, on drague, on tente de relever trois fois mais les attelages se rompent l’un après l’autre. Il n’y a plus qu’à marquer le point d’une belle bouée et à rentrer à la maison!

Mais tout le monde y croit encore! Field reprend ses navettes entre Londres et New-York; et, pour des raisons fiscales anglaises, il constitue une nouvelle société – The Anglo-American Telegraph Cy – , puis il lève £ 600 000 de nouveau capital, on redéfinit les spécifications du câble, on améliore les machines et méthodes pour tenir compte des derniers incidents, on lance les fabrications (on commande la totalité du futur câble et on garde à bord les 750 nm non posés à l’été 1865), on refait un carénage soigné du Great Eastern, on charge 8 500 tonnes de charbon et la nouvelle campagne de pose transatlantique démarre le 13 juillet 1866; tout se passe alors tellement bien (même la météo!) que l’équipage s’ennuie et consulte constamment les parliamentary & financial news retransmises depuis Valentia en temps réel. L’arrivée à Heart’s Content – le nouveau point d’atterrissement à Terre-Neuve – le 27 juillet 1866 est évidemment un triomphe.

Cerise sur le gateau, au retour vers l’europe, le Great Eastern et ses navires accompagnateurs retrouvent le point où le câble de 1865 s’est cassé et fin août, après 30 essais manqués de manoeuvres et d’acrobaties, on parvient à remonter le câble à bord du Great Eastern; on vérifie que tout fonctionne OK vers l’Irlande, une bonne épissure et cap vers l’Ouest, on repart vers Terre-Neuve pour finir en beauté la pose débutée en 1865.

Le Great Eastern à Heart’s Content en 1866

La queen Victoria échange à nouveau des congratulations avec le président US qui est cette fois Andrew Johnson! On a désormais deux cables USA / Europe en bon état de fonctionnement, l’ère des échanges d’informations entre les deux continents va démarrer « full speed » et constituer un colossal marché de services qui continue encore aujourd’hui de croître.

 

 

5. L’importance des travaux en mer

A ce point, une remarque: ces campagnes de pose successives de 1857 à 1866 démontrent que les débuts de la télégraphie intercontinentale constituent un exploit humain fantastique reposant non seulement sur les découvertes scientifiques de savants, les réalisations remarquables d’ingénieurs, les paris financiers hors normes d’entrepreneurs ambitieux et opiniâtres, les soutiens de politiques visionnaires (oui, ça existait à l’époque!) mais aussi et enfin -j’allais dire surtout!- de marins exceptionnels; et, quand on parlera des progrès fabuleux des liaisons par câbles, on pensera aux télécoms, canaux téléphoniques, répéteurs immergés, numérisation, fibres optiques, etc. et on pourra avoir tendance à oublier l’aspect purement maritime de cette industrie: « y’a qu’à » dérouler le câble au fond de l’eau depuis un gros bâteau, où est le problème?

Détailler les véritables exploits maritimes qui ont été réalisés durant ces campagnes sortirait du cadre de cet exposé, mais le lecteur un tant soit peu sensibilisé aux métiers de la mer aura certainement réalisé que les problèmes étaient multiples et d’une complexité hors normes, surtout avec les équipements et moyens disponibles au milieu du XIXe siècle!

Quelques exemples pratiques de difficultés:

1/ la précision de navigation nécessaire (alors qu’on fait le point au sextant) pour retrouver un tronçon de câble de 5cm de diamètre par 3000 m de fond: les bouées de marquage ne résolvent pas tout: leurs ancres peuvent déraper ou les filins se casser…

2/ même si l’on arrive à crocher le câble au fond, imaginer et mettre en oeuvre des grapins, filins et attelages capables de le saisir et de le remonter sans le massacrer sous des tensions de plusieurs tonnes, la limite de rupture du câble de grands fonds de 1865 étant théoriquement de 8 tonnes.

3/ les machines et freins contrôlant la sortie à l’eau du câble imposent une vitesse constante d’environ 6 nm de câble par heure en pose normale: donc, c’est la vitesse du navire par rapport au fond qu’il faut réduire quand le fond descend et augmenter quand le fond remonte!…Allez faire cela avec un sondeur à huile de coude et un moteur mû par une machine à vapeur de 1860!

 

Et, de fait, cet aspect purement maritime a connu autant de difficultés vaincues et autant de progrès – sinon plus – que l’industrie des câbles elle-même: des navires câbliers construits exclusivement pour la pose et les réparations de câbles se sont révélés indispensables dès 1873 et l’on est passé en 160 ans de l’Agamemnon, avec son gréément de marine à voile et ses machines à vapeur fraichement installées pour les campagnes de 1857/58, à des navires câbliers de la classe « Pierre de Fermat » (lancé en 2014 dans un chantier norvégien pour la filiale Orange Marine de France Telecom), bâtiments bourrés de technologies ultra-modernes qui en font les navires civils les plus chers à la tonne!

cable ship Pierre de Fermat Orange Marine

cable ship Pierre de Fermat Orange Marine

 

6. Les câbles sous-marins transatlantiques français

Depuis le succès des frères Brett sur le Calais – Douvres de 1851, l’administration française reconnaît que l’industrie des câbles sous-marins est 100% anglaise, et a donc recours aux divers fournisseurs britanniques (y compris Siemens & Halske) pour des liaisons locales avec nos îles (la Corse d’abord) et avec l’Algérie. Beaucoup d’échecs, la longueur cumulée du réseau sous-marin gouvernemental français n’est que de 320 km en 1866. [à noter le Pirou (Coutances) – Jersey en 1859 et le Anse du Verger – Chausey en 1865]

C’est en 1868, qu’apparaît à Paris dans notre récit un personnage pittoresque: le banquier francfortois Frédéric Émile Erlanger: il s’associe avec Julius Reuter (le fondateur de l’agence anglaise de presse et d’informations financières Reuters qui existe toujours) dont il est le courtier et il obtient le 6 juillet 1868 de Napoléon III, auprès de qui il a ses entrées, une concession de 20 ans pour la pose et l’exploitation d’un câble entre la France et les USA via St-Pierre au profit de la Société du Câble Télégraphique Français (la SCTF, qu’il a créée avec son associé): Comment est-ce possible?

Pour ce qui concerne Reuter, jusqu’en 1851 (date de création de la ligne télégraphique Bruxelles / Aix-la-Chapelle), son agence de presse doit avoir recours à 200 pigeons voyageurs pour acheminer les messages entre ces deux sites. En 1863, il est installé à Londres: des bateaux venant des États-Unis jettent des bidons contenant les dépêches au large de Cork, les bidons sont récupérés et les informations télégraphiées de Cork à Londres où elles arrivent avant les navires. Il n’est donc pas étonnant que Reuter trouve intéressant de faire des affaires avec un banquier qui propose d’établir une ligne directe entre Paris et New-York!

 

Friedrich Emil Erlanger (1832-1911), est le fils aîné du comte Raphael von Erlanger (1806-1878), banquier et homme politique installé à Francfort. Dès 1848, Emile est associé dans la banque de son père. En 1853, le gouvernement d’Othon Ier de Grèce le le recrute comme consul général et agent financier sur la place de Paris. Il négocie alors pour d’autres cours royales divers emprunts: la reine Marie II de Portugal lui octroie en remerciement le titre de baron. Lors d’un voyage en Égypte, il croise Ferdinand de Lesseps et lui offre de l’aider à trouver des financements pour le canal de Suez.

Le 30 juin 1858, il épouse Florence Louise Odette Lafitte (1840–1931), la petite-fille du célèbre banquier français Jacques Laffitte. En 1859, il prend officiellement la tête de la banque Erlanger à Paris, puis fait franciser son nom, se faisant appeler « Frédéric Émile Baron d’Erlanger ». Il est considéré comme l’inventeur des emprunts à haut-risque sur les pays en voie de développement (autrement dit, « junk bonds« ), qui vont se multiplier sur les places européennes jusqu’au scandale des emprunts russes. Parmi eux, des emprunts pour le Bey tunisien (auquel il vend par ailleurs pour 1 million de Francs une centaine de canons défectueux) et surtout sur le coton américain: Erlanger réussit par cet emprunt à créer durant les deux dernières années de la guerre de sécession une véritable monnaie indexée sur le coton qui permet aux sudistes d’acheter des bateaux, des approvisionnements et des armes, pour lutter contre le blocus (« blockade runners« ) imposé par les nordistes. En prétendant que ces bons seront remboursés à valeur faciale même si le Sud perd la guerre il fait une fortune en ruinant les naifs qui l’ont cru.

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Le câble « français » de 1869

La concession de 1868 impose à la SCTF que son câble ne touche que la France et les USA. Le tracé sera donc Brest (Le Minou) / St-Pierre / Duxbury (Massachusets).

Le constructeur est anglais bien sûr (TelCon) le poseur aussi (Great Eastern + 4 navires acompagnateurs) mais, plus surprenant, le financement également (60% souscrits à la bourse de Londres en moins de 8 jours) et le siège social est établi à Londres. Tout va très vite, mais une semaine avant la fin de pose prévue le 23/07/1869, on n’a toujours pas le droit d’atterrissement sur la côte américaine. Grâce à des pressions de Cyrus Field, le Président américain Ulysse S. Grant donne son feu vert mais il exige une réciprocité de droit d’atterrissement en France pour les projets américains, ce qui fait tomber la clause d’exclusivité que la SCTF prétendait obtenir.

Par ailleurs, le gouvernement du Massachusets – dont plusieurs élus ont laissé des plumes dans l’emprunt coton d’Erlanger – fait obstacle à la remise de la « landing license« , ce qui oblige Erlanger à activer ses réseaux et, via l’entrepreneur new-yorkais James Scrymser, il graisse la patte à deux représentants du New Jersey ($ 10 000) et obtient du Gouverneur le droit d’atterrissement sur la côte de cet Etat (ce qui aurait été très avantageux car bien plus près de New-York). Du coup, l’autorisation d’atterrir à Duxbury tombe du ciel immédiatement!

Ces nouveaux frais, augmentés des ponts d’or attribués aux ingénieurs anglais et à Sir James Anderson, le commandant du Great Eastern, font exploser le budget. Le complément de financement n’est souscrit que par entités anglaises déjà actionnaires de l’Anglo.

Dès la mise en service,le concurrent Anglo-American divise ses tarifs par quatre, SCTF ne peut pas suivre et signe en janvier 1870 un accord d’intégration dans le pool transatlantique anglais, Reuter leur revend ses parts et ce câble soit-disant français est racheté en 1873 par l’Anglo.

 

Suite à la mise hors service en 1872 du câble de 1866, John Pender fait poser en 1873 et 1874 deux nouveaux câbles Valentia / Hearts Content.

En réaction, une nouvelle tentative de concurrencer l’Anglo est initiée par les anglais Siemens Brothers: ils posent le « direct US » avec leur propre câblier le Faraday, premier du nom.

le Faraday, 1er navire câblier spécialisé, pose en 1874

le Direct US States Cy cable (Siemens Bro)

Le direct US n’est pas plus direct que les autres: pour « bypasser » le Canada il aurait fallu plus de 3 000 nm de câble et, avec les techniques disponibles, la vitesse de tranmission aurait été trop basse. Le direct US touche donc Tor Bay (Nouvelle Ecosse) car l’Anglo a l’exclusivité des atterrissements à Terre-Neuve.

Derechef, dès la mise en service du direct US, l’Anglo lance une guerre des tarifs, met la Direct US States Cy en difficultés financières et l’intègre dès 1875 dans le système du globe telegraph trust cy.

Compte tenu de la mise hors service en 1877 du câble de 1865, et de la pose en 1880 d’encore un câble Valentia / Hearts Content, ce seront donc en 1880 pas moins de 5 câbles transatlantiques en exploitation opérationnelle que contrôle Pender! il mérite bien désormais son titre de « the cable king« !

Où en sommes-nous côté France, maintenant?

La guerre de 1870 et la chute de l’empire, suivies de la commune sont bien sûr des traumatismes mais, dès 1873, le territoire est libéré (sauf l’Alsace et la Lorraine), les indemnités dues aux allemands sont payées plus vite que prévu (nous allons en reparler) et l’économie repart de plus belle en croissance jusqu’à l’exposition universelle de 1878, elle-même suivie de la crise financière de 1880-1882. Les grands investissements d’infrastructures comme les chemins de fer se multiplient en France dans les années 1870 et les entrepreneurs industriels et leurs banques, bien que de sensibilité royaliste ou bonapartiste, semblent très bien s’accommoder du nouveau régime républicain.

En 1877, le réseau mondial de câbles sous-marins totalise 118 500 km dont 103 000 km anglais, 1 250 km français 750 km allemands, 400 km italiens et aucun câble international américain.

Depuis que le câble ex-« français » de 1869 est passé sous pavillon britannique, plusieurs voix s’élèvent en France dans la sphère publique comme dans la sphère privée pour considérer comme inadmissible que nos communications diplomatiques et commerciales avec l’Amérique du Nord soient tributaires de l’étranger.

Mais une seule de ces voix va passer à l’acte: il s’agit d’Augustin-Thomas Pouyer-Quertier, un industriel normand qui a fait une brillante carrière politique, est sénateur et ex-ministre des finances de Thiers lors de la négociation du traité de Francfort avec Bismark en 1871.

« PQ », comme on l’appelle, fonde la Cie Fse du Télégraphe de Paris à New-York en 1879 et va réaliser le premier câble transatlantique vraiment français.

PQ est une force de la nature, commerçant rusé, industriel audacieux, orateur redoutable, bon vivant (et même très au-delà!), il mérite vraiment d’être mieux connu: cf encadré1.

Augustin-Thomas Pouyer-Quertier (1820 – 1891)

  • industriel normand du textile
  • député de la Seine-Inférieure en 1857
  • ardent protectionniste, anti-monopoles
  • ami des Valon / La Rochelambert > légitimiste
  • ministre des finances de Thiers 25/02/1871
  • négocie le traité de Francfort avec Bismarck
  • participe à la tentative de restauration du Comte de Chambord « Henri V » en 1873
  • sénateur de la Seine-Inférieure en 1876
  • décline en 1877 la proposition de Mac Mahon de former un gouvernement après Gambetta
  • président en 1879 la Cie Fse du Télégraphe de Paris à New-York
  • 1883 sa société de filature passe en S.A.
  • 1887 éjecté de la présidence de la CFTPN
  • 1891 décède en laissant 4 millions de dettes

 

Encadré:

Un personnage hors du commun :

Augustin-Thomas Pouyer-Quertier (« PQ »)

> né en 1820, cet industriel normand du textile est formé au petit séminaire d’Yvetot et au collège royal de Rouen – il n’est pas polytechnicien, contrairement à ce que disent certaines biographies – il se forme sur l’industrie textile en Angleterre et en Allemagne et installe une filature à Fleury sur Andelle,

> député de la Seine-Inférieure en 1857, il combat les accords commerciaux de libre-échange avec les anglais qui causent une grave crise cotonnière: il est un ardent protectionniste, anti-monopoles,

> dès 1845 il est ami avec Comte Louis Alexis Léon de Valon et la Vicomtesse Appolonie de La Rochelambert (liée aux Hohenzollern) c’ est un invité habituel du chateau de Rosay dans l’Eure (le 1er departement industriel de France),

> il devient légitimiste, marie à grands frais ses 2 filles aux fils des familles Lambertye et de La Rochelambert,

> il rachète en 1859 l’usine La Foudre au Petit-Quevilly et obtient le vote d’une loi sur les chemins de fer d’intérêt local

> il est ministre des finances de Thiers dès le 25/02/1871

> il négocie le traité de Francfort avec Bismarck

> il participe avec les Valon à la tentative de restauration du Comte de Chambord « Henri V » en 1873

> il est élu sénateur de la Seine-Inférieure en 1876

> il décline en 1877 la proposition de Mac Mahon de former un gouvernement après Gambetta

> il est président en 1879 de la Cie Fse du Télégraphe de Paris à New-York qu’il vient de créer

> sa société de filature passe en S.A. en 1883, signe de sérieuses difficultés financières

> il est éjecté de la présidence de la CFTPN en 1887

> en1891, il décède en laissant 4 millions de dettes

Négociations avec Bismarck du traité de 1871:



PQ nommé par Thiers ministre des finances est envoyé à Berlin pour négocier, d’abord accompagné de Jules Favre ministre des affaires étrangères, puis seul: en effet, on a vu que pour marier ses filles jumelles dans la noblesse PQ est devenu très proche d’Appolonie de la Rochelambert dont les amitiés de jeunesse avec la famille royale de Prusse ne peuvent que donner confiance à Bismarck. PQ embarque avec lui à Berlin comme secrétaire particulier Bertrand de Valon fils d’Appolonie.

Bismarck fait de la surenchère au début et refuse brutalement toute concession. PQ obtient une entrevue avec l’empereur Guillaume Ier et la suite des négociations se passe mieux et même étonnamment bien: .

PQ a fini par bien plaire à Bismarck, par sa brutalité oratoire dissimulant une rouerie bien normande, son caractère bon-vivant, seul capable de lui résister et même le battre dans des concours de beuveries.

Lettres et notes intimes, 1870-1871, recueillies par A. de Mazade:

1. Sur l’évacuation du territoire.

C’était, disait Pouyer-Quertier, à l’Hôtel de France, à Berlin; j’étais couché; vers 5 heures du matin, bruit de bottes et cliquetis d’armes dans les couloirs. Je me redresse et j’écoute.

On frappe fortement à la porte

— Entrez! — Bismarck parait, en grande tenue de cuirassier blanc!

— Vous! Prince? à cette heure ?

— Oui, moa! J’ai passé la nuit près de mon Empereur pour traiter nos grandes affaires.

— Eh bien ?

— Eh bien ! bonne nouvelle, et j’ai voulu être le premier à vous l’annoncer: L’Empereur accepte toutes vos conditions.

__ Je n’attendais pas moins de vos influences.

__ J’ai dit simplement : L’Empereur etc.

__ Eh bien, Prince, veuillez passer dans mon petit salon; je me lève pour télégraphier à mon Gouvernement.

— Vous pouvez vous lever devant moi; j’ai été soldat,

J’endosse une robe de chambre.

— Et maintenant, dit Bismarck, avant tout, rédigeons nos conventions.

Sur une méchante table, à la lueur d’une bougie, Bismarck en grande tenue, moi en costume de nuit, nous rédigeons en double: « Demain, à midi, les troupes prussiennes auront évacué le territoire Français etc. « 

__ Quand partez-vous, Monsieur le Ministre?

__ Mais demain, Prince.

__ Eh bien! puisque nous voilà bons amis, je veux que tout le monde le sache: je vous accompagnerai au départ.

A propos, combien vous a coûté votre voyage à Berlin?

— Mille francs.

— Vous vous trompez; les chemins de fer allemands coûtent bien moins que les chemins de fer français!

Au départ. Bismarck et moi causions sur le quai de la gare de Berlin,.

— Salignac! dis-je au colonel Salignac-Fénélon qui m’accompagnait, voulez-vous aller régler le retour?

Salignac revient.

— Monsieur le Ministre, nous avons payé l’aller et le retour.

— Vous voyez bien, dit Bismarck, que nos chemins de fer coûtent moins que les vôtres!

Trois fois, en route, aux buffets, déjeuners et diners plantureux, parfaitement servis; et quand Salignac se présente pour payer, toujours cette réponse: C’est pour Monsieur le Ministre plénipotentiaire français.

C’est compris dans l’aller et le retour!

Nous finissons par nous apercevoir que les serviteurs du Prince et sa cave nous suivent depuis Berlin.

Et je rédige cette dépêche: « Dans ces conditions, les chemins de fer allemands coûtent moins que les chemins de fer français ».

2. Sur le paiement de l’indemnité de guerre.

M. Thiers m’envoie en Allemagne, en me disant de m’adjoindre, si je veux, Jules Favre; Jules Favre et moi: nous nous donnons rendez-vous à Pantin. J’y arrive assez facilement. Mais Jules Favre, au sortir de Paris, est reconnu par les fédérés qui veulent le jeter à la Seine; il leur échappe et se fait escorter jusqu’à Pantin par un escadron prussien.

A Berlin, Bismarck nous invite tous les deux. Il offre un cigare à Jules Favre.

— Merci! Je ne fume pas.

Puis dans une énorme chope, il lui offre un mélange de bière, d’eau-de vie, etc. mis en ébullition fervente par un tisonnier rouge.

– Prince! Je ne bois pas!!

– Si vous ne buvez ni ne fumez, eh bien, allez-vous coucher!

Jules Favre part en effet. Au nom de la Patrie, j’avale d’un trait l’affreux breuvage, à la satisfaction du Prince, qui dit à Guillaume: « Il ne faut rien lui refuser ».

3. Sur la délimitation du territoire

Je refusais d’accepter la délimitation proposée par Bismarck, parce que, pour arriver à Belfort qui nous restait, il fallait passer par une langue de terre étroite comme une large rue, entre deux longues frontières prussiennes.

— Après tout, Prince, dis-je au bout d’une grande discussion, je ne veux pas que mes enfants soient Prussiens, et ils le deviennent par votre délimitation qui met chez vous les propriétés de mon gendre,..

— Ah! Question de gentilhommerie entre nous! Où commencent les propriétés de votre gendre? dit Bismarck en appuyant un crayon sur la carte. Il promène son crayon sur les points que j’indique et si violemment qu’il le casse.

— Enfin! dit-il, il en a donc bien grand, des propriétés, votre gendre?

Et il cède.

J’ai conservé la carte et le crayon. En fait, mon gendre, M. de Lambertye n’était pas encore mon gendre, mais devait le devenir et l’est devenu.

J’ai eu le bonheur de conserver ainsi à la France cinq ou six mille habitants et des mines importantes.

 

7. La Cie Fse du Télégraphe de Paris à New-York

 

C’est à la veille de Noël 1878 qu’est signée, au domicile parisien de Pouyer-Quertier, la commande du câble auprès des « Ingénieurs de Télégraphes et Entrepreneurs » Siemens Brothers, établis à Londres, contrat devant « devenir exécutoire immédiatement après la constitution de la Compagnie Française du Télégraphe de Paris à New-York« .

Cette nouvelle compagnie est effectivement constituée en 1879 avec les principaux actionnaires et contributeurs suivants:

Augustin-Thomas Pouyer-Quertier Sénateur, ancien ministre des finances

A. Bosse Vice-Amiral, ancien ministre de la Marine, Sénateur

E.J. de Brugière Négociant (de New-York)

G. de Bussière

Charles Le Cesne Propriétaire

Comte Albert de Circourt

Edouard de Courcelles

Léon Rémy de Courcelles

Zacharian Cantey Deas Broker (Coton) Bourse de NYK, ex-général sudiste

Comte Arthur Dillon ancien Officier de cavalerie

Dompierre d’Hormoy Vice-Amiral

Comte Octave-Joseph d’Hespel Sénateur

Emile Gallet Payeur en chef de l’armée

Comte Henry de Lambertye Propriétaire

Charles Le Cesne Propriétaire

Marquis Aimé de la Roche-Lambert Trésorier-Payeur Général du Loiret

Comte Louis-Alexis Léon de Valon Conseiller général de l’Eure

G. de Chauvin

C. Collignon

On retrouve dans cette liste le milieu social typique des projets industriels français du XIXe siècle: nobles, officiers, hauts fonctionnaires, politiques – cela nous change des modèles anglo-saxons d’entrepreneurs: John Pender, drapier de Liverpool, John-Watkins Brett, peintre et décorateur de mobilier de Bristol, Charles Tilston Bright, ingénieur en électricité, Cyrus Field, marchand de papier de New-York, Isambard Brunel, ingénieur BTP, etc.

On ne voit même dans cette liste aucun ingénieur (sauf G. de Chauvin, le directeur général qui avait déjà géré les opérations du câble « US direct« ). Ce n’est pas que la France manque d’ingénieurs talentueux dans le domaine de la télégraphie électrique: la publication des « Annales Télégraphiques » à partir de 1855 avec les remarquables contributions de Gounelle, Fizeau, Blavier, Raynaud, Mercadier, Vaschy … le prouve. Mais ces gens-là (totalement inconnus de nos jours) sont restés dans le cadre prestigieux mais rigide et étroit de l’administration du télégraphe et ça ne s’améliore pas quand celle-ci est intégrée par Jules Grévy le 05/02/1879 dans le fameux « Ministère des Postes et Télégraphes« .

Ce projet français comprend 2 liaisons parallèles France / USA + Angleterre / Canada + une France / Angleterre permettant aux 2 liaisons transatlantiques de pouvoir réciproquement se secourir en cas de panne.

Le contrat avec Siemens est véritablement « clés en mains » comprenant la fabrication des câbles, leur pose par le navire câblier Faraday (construit et armé par Siemens Brothers pour poser le « US direct« ), la construction d’un nouveau navire câblier (le « Pouyer-Quertier« ) pour les réparations futures, la ligne terrestre aux USA, …

Dès fin 1879 les liaisons Brest (anse Deolen juste à l’ouest du Minou) / St-Pierre et St-Pierre / Cape Cod sont posées, ainsi que St-Pierre / Louisbourg (Nouvelle Ecosse) et la ligne terrestre Cape Cod / New-York: les prestations de Siemens sont exemplaires.

Le Prince de Galles Duke of Cornwall futur Edouard VII :

License d’atterrissement du câble Brest / Land’s End (1881) :

 

La pose du Brest (Deolen) / Land’s end (Porthcurnow bay à St-Levan) se déroule en 1880 mais l’ouverture de la liaison est retardée par les difficultés (très certainement sous les pressions de l’Anglo) à obtenir le droit d’atterrissement sur la côte de Cornouailles.

Les négociations pour obtenir cette license sont longues et âpres et impliquent les deux gouvernements plus l’autorité locale, c’est à dire le Duke of Cornwall qui ne fait qu’un avec le Duke of Wales, à savoir le Prince de Galles futur Edouard VII.

On connaît le caractère bon vivant et résolument francophile du Prince de Galles. Il est tout le temps à Paris où il mène joyeuse vie. Une rencontre avec Pouyer-Quertier n’est ni avérée ni à exclure.

Toujours est-il que cette fameuse license d’atterrissement en Cornouailles, dont l’original a été exposé lors de la conférence, n’est définitivement signée que le 10/10/1881, mais accordée pour une durée de 31 ans à compter du 25/12/1879 et assortie d’une redevance annuelle de 5 £.

L’exploitation du « PQ Cable » peut commencer mais le tronçon Land’s End / St-Pierre / Torbay ne sera jamais construit.

 

Comme on pouvait s’y attendre, la méthode si efficace de l’Anglo-American pour casser la concurrence est appliquée derechef: baisse de 50% des tarifs du pool britannique, qui tombe à 1,90 F/mot quand PQ Cable propose encore 3,75 F/mot. PQ réagit avec un tarif à 2,50F/mot et cette guerre des tarifs provoque des pertes financières encore plus grandes pour le pool que pour PQ mais le pool a les reins bien plus solides.

On sait déjà qu’un câble isolé ne peut maintenir une profitabilité positive longtemps car tous les câbles sont affectés d’incidents , pannes ou ruptures et seul un fonctionnement mutualisé entre plusieurs routes permet de maintenir la continuité du service et donc la confiance des clients.

L’évolution est donc claire: s’il est hors de question de vendre PQ Cable aux anglais, la participation au pool est la seule garantie d’une survie à long terme: l’accord est donc passé le 24/09/1880, toutes les recettes sont cumulées dans un pot commun, corrigé de certaines dépenses communes, puis les résultats sont partagés selon des quotas fixes:

84% pour l’Anglo (4 câbles + celui de la Direct) et 16% pour la PQ (1 câble).

Mais des actionnnaires de la Sté Fse du Télégraphe de Paris à New-York et même certains administrateurs s’opposent à cet accord de pool et la zizanie s’installe dans la direction même de la PQ!…

Pool de 1880: Anglo-American câbles de 1869, 1873, 1874 et 1880

Direct US câble de 1875

PQ Cable cy câble de 1879

 

8. La nouvelle concurrence américaine et ses conséquences sur la « PQ Cable »

Les américains débarquent!

Jay Gould All America Cables 1881

J.W. Mackay et J.G.Bennett Jr Commercial Cable Cy 1883

Jusqu’à présent les américains sont absents du marché des câbles télégraphiques – ils ont développé un ensemble considérable de réseaux terrestres désservant la plupart des centres importants de l’immense pays. Western Union en contrôle l’essentiel et se connecte à l’Anglo American pour les échanges de trafic avec l’Europe. Un concurrent de la WU est L’American Union Telegraph Cy qui est le partenaire choisi par la PQ pour s’interconnecter avec les territoires US.

Les nouveaux intervenants sur l’atlantique sont:

1/ Jason « Jay » Gould, (1836, Roxbury N.Y. – 1892, NYK city) qui a fait fortune dans les tanneries et le commerce du cuir, puis dans les Chemins de fer: il prend le contrôle de WU puis en 1881 rachète les droits et actifs de l’American Union, enfin il crée All America Cables et contracte avec Siemens Brothers pour 2 cables en service en 1882;

2/ John William Mackay (1831, Dublin – 1902), ouvrier de chantier naval à New-York, puis matelot en 1851sur un clipper pour rejoindre via le cap Horn la ruée vers l’or (mais il y arrive trop tard!), on le retrouve à Virginia City où, après des coups de bourse chanceux, il fait fortune dans les mines d’argent. Puis il s’installe à Paris en 1876 et continue de fructueuses affaires qui lui permettent de racheter en 1883 la Postal Telegraph (dernière concurrente sérieuse de la WU); à cette occasion, il se lie d’amitié avec James Gordon Bennett Jnr (qui a épousé la fille Reuter et a fondé le International Herald Tribune), ils créent ensemble la CCC (Commercial Cable Cy) et contractent aussi avec Siemens Bro pour deux autres nouveaux câbles en 1883 et 1884.

 

Inutile de dire que, si cette nouvelle concurrence d’origine américaine pose de sérieux problèmes à l’Anglo-American, elle s’avère totalement catastrophique pour la PQ, dont la situation est fragile à bien des points de vue, en particulier financier; en effet, la PQ a eu « le flair » de choisir comme banque l’Union Générale qui disparaît dans le crach boursier français de 1882!

Ces épreuves amplifient la zizanie évoquée plus haut et provoquent un véritable éclatement du Conseil et de la Direction de la Société, le ministère des P&T intervenant de plus à contre-temps:

Une partie de l’équipe PQ souhaite avec le Comte Dillon profiter de la situation pour s’allier aux américains contre les anglais et l’autre partie (Pouyer-Quertier, Collignon,..) licencient Dillon et veulent continuer à négocier les tarifs et quotas dans le cadre du pool de l’Anglo.

Finalement c’est le clan Dillon, supporté par la CCC, Siemens et le ministère qui l’emporte: Dillon revient en force dans la société, Pouyer-Quertier est « démissionné » de la présidence et les accords avec l’Anglo sont dénoncés. Notons au passage que le Comte Dillon est à partir de 1886 un important support du Général Boulanger et que, convaincu d’avoir utilisé les ressources de la Société pour financer le mouvement boulangiste, il devra démissionner de la PQ en juillet 1888.

L’Anglo poursuit la PQ devant les tribunaux français: une longue procédure s’en suit à partir de 1887 avec l’intervention de ténors du barreau: l’avocat de la PQ n’est autre que Waldeck Rousseau (qui a été déjà 2 fois ministre) et l’avocat de l’Anglo est maître Barboux (de l’Académie française), qui défend aussi de Lesseps dans l’affaire de Panama.

 

Le nouveau président de la PQ Cable Cy est l’ex-Capitaine de Frégate Brueyre-Dellorier qui négocie une nouvelle convention d’échange de trafic avec la Commercial mais, avec ce changement d’alliances, PQ n’est plus que le bureau français de la CCC. La guerre des tarifs entre anglais et américains s’arrête en 1888, mais le niveau atteint de 1Sh. ou 1,25F par mot ne permet plus à PQ d’équilibrer son compte d’exploitation.

Pire, l’interruption du câble de PQ pendant plusieurs mois en 1894 fait encore plonger les recettes.

La PQ couverte de dettes est déclarée en faillite en décembre 1895

[Pouyer-Quertier est mort le 2/4/1891, lui aussi criblé de dettes]

Pendant ce temps-là, une autre entité française la Sté Fse des Télégraphes Sous-Marins à laquelle participe la Société Générale des Téléphones (réseau nationalisé en France) a déployé et exploite un réseau de câbles sous-marins dans les Antilles et un magnifique projet de câble Brest/Lisbonne/Açores/Haïti soutenu par le gouvernement français est bloqué en 1892 par la chute de ce même gouvernement et le changement de ministre des P&T.

 

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Les avoirs de la PQ et de la SFTSM sont fusionnés dans une nouvelle société: la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques (CFCT), créée en début 1896 et présidée par le Contre-Amiral Jules Caubet.

Navire Câblier Edouard Jeramec

construit en 1913 pour la CFCT

La CFCT va réaliser en 1897 – 1898 le plus long câble sous-marin jamais construit à cette époque: le Direct Déolen/Cape Cod, 6 000 km. C’est enfin un câble de technologie française, car il existe désormais trois usines de fabrication de câbles sous-marins en France: La-Seyne/mer (1881, administration française), Calais (1891, SIT filiale de SGT) et St-Tropez (1892, A. Grammont).

La pose échoue en 1897 mais réussit en 1898. Ce retard, cumulé avec la catastrophe de 1902, l’éruption de la Montagne Pelée (cf ci-après) provoque de sérieuses difficultés financières à la CFCT et une nouvelle intervention de l’état avec un nouveau montage financier est nécessaire.


Eruption de la montagne Pelée le 8 mai 1902 à Saint-Pierre de la Martinique:

le réseau antillais de la CFCT est dévasté, le câblier Pouyer-Quertier sauve 1855 vies

C’est sous la direction d’Edouard Jeramec (ex-administrateur de la Cie des Chemins de Fer du Nord), nommé président de CFCT en 1903, que la CFCT se rétablit progressivement et retrouve en 10 ans une profitabilité normale qui lui permet en 1913 de lancer un nouveau navire câblier qui prend le nom du président, comme au temps de Pouyer-Quertier.

 

9. Le bilan au début du XXe siècle

1901EasternTelegraph

En 1901, l’Anglo-American exploite 6 câbles transatl.

la CFCT exploite 2 câbles transatl.

la WU (All Americas) exploite 2 câbles transatl.

la Commercial CC exploite 5 câbles transatl.

la Deutsche Atl Tel exploite 2 câbles transatl.

Après la domination anglaise totale de 1866 à 1879, seule l’arrivée des entreprises américaines en 1881 -1884 a donc réussi à imposer un minimum de concurrence réelle.

 

BrightMap2

câbles télégraphiques transatlantiques en 1912 : atterrissements nord-européens

BrightMap1

câbles télégraphiques transatlantiques en 1912 : atterrissements nord-américains

Nous n’avons considéré que les trajets sur l’atlantique nord mais, au niveau mondial, les cumuls de liaisons télégraphiques sous-marines exploitées en 1910 sont donnés dans le tableau ci-dessous et la domination britannique reste impressionnante.

Réseaux mondiaux en 1901 (km)
Réseaux nationaux gouvernementaux 39 851
Réseaux des Compagnies privées 318 014
total 357 865
Grande Bretagne 220 359
USA 52 180
France 34 323
Allemagne 14 613
Italie 1 964
Danemark 15 278
Autres 19 148
total 357 865

Pour conclure, reprenons les fondamentaux de l’industrie des câbles télégraphiques sous-marins et identifions les avantages géostratégiques et humains du Royaume-Uni pouvant expliquer cette domination:

> une participation essentielle dans la découverte des lois physiques sous-jacentes et dans la mise au point des prototypes,

> une maîtrise immédiate de l’industrialisation des systèmes (lignes et terminaux),

> un accès aisé aux matières premières avec une quasi-exclusivité pour la Gutta-Percha,

> une demande globale évidente: fonctionnement de l’empire, importance des activités internationales de traitement de l’information, en particulier financière et de presse,

> un positionnement géographique optimal avec contrôle des points de relais intermédiaires (parcours Europe / Amérique avec tronçons les plus courts possibles car la capacité d’une ligne est inversement proportionnelle au carré de sa longueur),

> un réservoir d’entrepreneurs « schumpeteriens » issus de la race des investisseurs audacieux et acharnés, toujours prêts, après avoir fait fortune dans n’importe quel domaine, à tout miser sur un nouveau projet dont ils ne connaissent rien mais dont l’idée les séduit…Sur ce point-là les américains partagent l’avantage et même dominent tout le monde!,

> enfin et surtout, des supports sans faille du système bancaire et du gouvernement britannique, toujours prêts à soutenir les initiatives privées contribuant à la création de valeur ajoutée et au développement et à la prospérité de l’empire (cf. la commission Galton en 1859!).

On ne peut que constater, sur plusieurs de ces avantages anglo-saxons, que la France est largement distancée:

> sur le critère de l’industrialisation, la fabrication partielle de câbles sous-marins en France ne débute qu’en 1881 à la Seyne-sur-Mer,

> sur les véritables entrepreneurs de la même trempe que les anglo-saxons, nous avons vu la faune qui peuple les conseils d’administration des sociétés françaises impliquées: essentiellement de hauts fonctionnaires, des officiers, & des politiques, ceci de l’aveu même de leurs successeurs, cadres de France Telecom, qui ont écrit « du morse à l’internet« !

> enfin sur le critère de l’effet bénéfique ou non des décisions et actions gouvernementales: Sous l’empire, les initiatives privées sont privilégiées mais surtout d’origine étrangère et particulièrement anglaises! Sous la 3e république, l’état se réserve le réseau colonial et encadre très étroitement un secteur privé réservé à l’atlantique Nord et un peu Sud. Il n’y a pas de stratégie globale et stable des réseaux nationaux et internationaux et des industries sous-jacentes. Les changements politiques font et défont les projets, que ce soit pour les liaisons coloniales ou pour les projets privés: un cas d’école est ici le projet de câble Brest / Haïti via Lisbonne et les Açores favorisé par le gouvernement jusqu’en 1892 puis coulé par le nouveau ministre en 1893, causant la perte de la SFTSM.

Enfin, la technologie de la télégraphie sous-marine est elle-même remise en cause dès le début du nouveau siècle: si nous revenons en 1902, l’éruption de la montagne Pelée le 8 mai à Saint-Pierre de la Martinique marque un terrible coup d’arrêt au développement des câbles français: en effet, bien que le câblier Pouyer-Quertier, qui était mouillé en rade de St-Pierre, ait sauvé 1 855 vies (village du Prêcheur au nord de l’île), le réseau antillais de la CFCT est complètement dévasté.

Et, le 4 décembre 1902, le Général Gustave Ferrié rétablit les communications entre la Martinique et la Guadeloupe gâce à la récente invention de l’italien Guglielme Marconi: la radiocommunication.

Le succès de Ferrié et les difficultés de la CFCT auront une conséquence durable en France, confortant l’image de la radio « outil de l’avenir » au détriment du câble « dépassé », aussi bien dans l’opinion publique qu’au gouvernement.

Cette concurrence radio / câble durera plus d’un siècle et connaîtra de nombreux rebondissements, avec les évolutions fulgurantes des deux technologies, mais ceci est une autre histoire…

Raphaël Tréglos

Conférence SHAASM du 18/05/2015

  1. 1 nm = 1 mile nautique =1 852 m
  2. ETA = Estimated date/Time of Arrival = date/heure estimée d’arrivée
  3. Marc Brunel, le père d’Isambard, était né en 1769 en Normandie, il servit quelque temps dans la marine avant d’émigrer en 1793 aux États-Unis, où il exécuta d’importants travaux comme ingénieur en chef de la ville de New York; il alla en 1799 se fixer en Angleterre, y fit fortune grâce à la mise au point de plusieurs machines ingénieuses, entre autres une machine à fabriquer les poulies pour la marine; on lui doit le tunnel sous la Tamise (1825-1842).Il était membre de la Société royale de Londres et correspondant de l’Institut de France.

 

Les câbles sous-marins télégraphiques transatlantiques  1850 – 1914

[Conférence SHAASM du 18/05/2015]

Les sources:

Louis FIGUIER Les merveilles de la science tome II: Télégraphie aérienne, électrique et sous-marine, Câble transatlantique.

Paris 1868 Furne, Jouvet & Cie, éd.

E. WUNSCHENDORFF Traité de télégraphie sous-marine

Paris 1888 Librairie Polytechnique Baudry & Cie Ed.

Henry M. FIELD The story of the Atlantic Telegraph

New-York 1892 Charles Scribner’s Sons

Alfred GAY Les câbles sous-marins I – fabrication

Paris 1903 Gauthier-Villars Masson & Cie

Alfred GAY Les câbles sous-marins II – travaux en mer

Paris 1903 Gauthier-Villars Masson & Cie

André MAUROIS Edouard VII et son temps

Paris 1933 Les éditions de France

Bern DIBNER The Atlantic Cable

New-York 1964 Blaisdell Publishing Cy, a div. of Ginn & Cy

K.R. HAIGH Cableships and submarine cables

London 1968 Adlar Coles Ltd, US Underseas Cable Corp

Catherine BERTHO Télégaphes et Téléphones de Valmy au microprocesseur

Paris 1981 Le Livre de Poche – Librairie Générale Française

François CARON La France des patriotes 1851 – 1918 Histoire de France Tome 5

Paris 1985 Librairie Arthème Fayard

Pascal GRISET Les télécommunications transatlantiques de la France XIXe – XXe s.

Paris 1996 Ed. Rive Droite

René SALVADOR & al. Du Morse à l’Internet 150 ans de télécom. par câbles sous-marins

La Seyne / mer 2006 G. Fouchard / Assoc. des Amis des Câbles Sous-Marins

www.atlantic-cable.com/ History of the Atlantic Cable & Undersea Communications from the first submarine cable of 1850 to the worldwide fiber optic network

www.cablesm.fr/ Association des Amis des Câbles Sous-Marins – Tout sur les câbles Sous-Marins –

Le conférencier:

Raphaël Tréglos, ingénieur SupElec (promo 1968) a travaillé de 1970 à 1975 comme ingénieur à la CFCT (Compagnie Française des Câbles Télégraphiques, successeur de « PQ Cable » fondée en 1879) et a été responsable à New-York de l’activité américaine de cette société (FTCCommunications Inc.à New-York) de 1975 à 1981.