Léon Jean-Louis Briand est né à Saint-Malo en 1883, mousse à 13 ans, à la petite pêche, il est inscrit maritime définitif en 1903, navigue au long cours puis à la grande pêche ; passe au service de l’État fin 1903. À Cherbourg, en août 1905 il embarque comme matelot sur le Croiseur cuirassé Kléber. En janvier 1907, il est toujours à bord lorsque ce navire appareille de Fort-de-France pour Kingston avec vivres et matériel médical pour secourir les jamaïcains victimes d’un terrible tremblement de terre.

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Mais en février 1907, lors d’une escale à Cuba il ne regagne pas le bord. À La Havane, il est alors déclaré déserteur du Kléber.

Sa trace réapparait en 1913, à Guildford, en Australie ! Il s’est fait naturaliser australien et s’est marié. Il aura deux fils, Léon et Joffre. En 1914 il s’engage dans le 16ème Bataillon de la Force Impériale Australienne, élément constitutif de l’ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps).

Peu avant Noël 1914 il fait partie des millliers de volontaires australiens embarqués à bord du HMAT A40 ‘Ceramic’ pour rejoindre un camp d’entrainement en Egypte, mais ils sont déroutés pour aller combattre aux Dardanelles. Victime d’un traumatisme crânien à Gallipoli, il est promu caporal et décoré de la Médaille militaire, avec la citation suivante: « pour son courage remarquable et son dévouement sur le terrain alors qu’il était au service des forces expéditionnaires impériales australiennes« . Il est démobilisé pour convalescence pendant un an. Malheureusement il est puni plusieurs fois pour mauvaise conduite, son tempérament impétueux ayant été aggravé par les séquelles de son traumatisme crânien. En effet, tout le reste de sa vie, il gardera d’importants maux de tête et sera incapable de tolérer des bruits forts.

En juillet 1916, Léon Briand demande à reprendre du service.Mais, avant de repartir, il souhaite rendre visite à ses proches. L’autorisation lui est refusée. N’en tenant pas compte, il défit l’ordre. Il est alors considéré comme déserteur, ce qu’il contestera jusqu’à sa mort.

Dégradé par la Cour Martiale et rétrogradé au rang de soldat (« private« ) il est envoyé sur le front de la Somme à la place de la prison: Le 11 avril 1917, sous les ordres du Général Gough, il participe à la première bataille de Bullecourt près d’Arras (une véritable boucherie!), et un éclat de grenade lui fracasse la cuisse droite. Gravement blessé il est fait prisonnier et soigné dans le grand camp de Soltau en Allemagne. Prisonnier de guerre pendant 9 mois, il est rapatrié en mars 1918 vers la Hollande puis l’Angleterre.

C’est un mutilé de guerre qui retrouve l’Australie. Sa jambe le fait souffrir et limite sa mobilité, les séquelles post-traumatiques de ses premières blessures impactent ses capacités et son comportement. Très instable, il erre et enchaîne des petits boulots de chercheur d’or, de mineur (à Kalgoolie, dans le bush 400 km à l’est de Perth), de pêcheur (à Geraldton, 350 km sur la côte au Nord de Perth), souvent interrompus par des passages au tribunal.

Sa femme se suicide en décembre 1922. Son remariage en 1938 ne dure que six mois.

à 77 ans, il meurt en miséreux à Geraldton le 22 décembre 1960.

Voilà longtemps que Saint-Malo a oublié Léon Briand, lorsque la SHAASM reçoit un message d’Australie en mars 2018.

Mrs Barbara DUNDAS, présidente de la Guildford Association Inc., recherche des informations sur ce soldat australien né à Saint-Malo: Guildford est une petite ville sur le fleuve Swan à une dizaine de km en amont du centre de Perth, ce fut le point de départ de l’implantation des colons anglais sur la côte Ouest Australienne, là où allait se développer l’immense et riche capitale de l’état de Western Australia.

Entre autres activités communautaires, la Guildford Association identifie et honore la centaine d’anciens combattants de l’ANZAC qui y ont vécu et contribue à réhabiliter les « forgotten soldiers »: c’est le point de départ des recherches croisées entre l’association locale australienne et notre société d’histoire, confortées par une visite sur place de notre collègue Raphaël Tréglos lors d’un voyage familial.

Le résultat de ces investigations résumé plus haut a permis d’obtenir que le Department of Veterans Affairs à Canberra finance et fasse réaliser une tombe militaire officielle pour Léon Jean Louis Briand au titre d’ancien combattant de l’ANZAC. Il avait été enterré en 1960 dans une tombe anonyme, avec les miséreux.

Le samedi 23 mars 2019, dans le cimetière « Utakarra » de Geraldton, la Geraldton Returned Service League a organisé une cérémonie.Les autorités étaient présentes, trois détachements d’infanterie rendaient les honneurs en tirant trois salves. Dans son compte-rendu de l’évènement, Mme Dundas nous écrit que « Le passéde Léon Briand a été retracé, suivi d’une lecture d’un ministre anglican puis d’un prêtre catholique. Ensuite, la petite fille de Léon a lu un poème écrit par son père Joffre (le second fils de Léon). La couronne a été déposée avec environ 25 couronnes présentées par des députés du gouvernement de l’état et du gouvernement fédéral, des maires, des associations. » Mme Dundas a présenté la couronne de « Saint-Malo » offerte par la SHAASM. Puis le député Ian Blayney a lu une prière et les écoliers ont chanté l’hymne national. Un clairon a joué le Last Post (la Sonnerie aux Morts), suivi d’une minute de silence. Et notre correspondante de préciser: « C’était très émouvant… le cimetière est un cimetière de campagne, avec de la poussière rouge, des gommiers et des cacatoès volant et crissant à l’arrière-plan… C’était très australien ».

Ainsi s’achève une cérémonie de réhabilitation pour ce fils de Saint-Malo au destin singulier. Soldat et caporal reconnu pour sa bravoure et son engagement, récompensé par la Médaille militaire avec étoile, la Médaille de la guerre britannique et la Médaille de la victoire. A travers ce moment où la mémoire sociale d’un ancien combattant de la Grande Guerre est restaurée, c’est aussi l’histoire d’une famille qui se réajuste. Barbara Dundas en témoigne: « La petite-fille de Léon, Fleur Heneghan, sa fille et ses petits-enfants étaient présents. Elle a dit comprendre maintenant la douleur et le mal-être de son père […] Je suppose que c’est cette pièce manquante du puzzle de sa vie qui est remplie maintenant. Il y avait des larmes et des étreintes et des discussions sur le grand-père qu’elle ne connaissait pas […] Il y avait beaucoup de cicatrices car son père, Joffre, était un homme en colère et malheureux. Les cicatrices des évènements douloureux de la guerre ont été transmises de génération en génération. Mais ce jour était un jour de guérison et de compréhension ».

Notre Société est heureuse et fière d’y avoir contribué, en collaboration avec nos collègues australiens, comme nous, veilleurs et passeurs de mémoire.

Jean-Luc Blaise